L’orbitopathie thyroïdienne
Votre médecin pense que vous souffrez d’une orbitopathie thyroïdienne. Il s’agit d’une maladie auto-immune, c’est-à-dire d’une maladie dans laquelle le système immunitaire d’une personne s’attaque aux tissus de cette même personne. Dans l’orbitopathie thyroïdienne le système immunitaire produit des facteurs qui agrandissent les muscles qui font bouger les yeux. Dans cette condition il peut y avoir une proéminence des yeux, une rétraction des paupières, de la vision double, une perte visuelle, et de l’irritation oculaire. Des anomalies dans le fonctionnement de la glande thyroïde (hyperactivité dans la maladie de Graves ou hypoactivité dans la thyroïdite d’Hashimoto) peuvent
accompagner l’atteinte oculaire. Le plus souvent il n’y a pas de relation étroite entre le traitement du trouble thyroïdien et les manifestations oculaires qui peuvent persister malgré un bon contrôle de la fonction thyroïdienne. L’orbitopathie thyroïdienne peut être présente en absence de manifestations cliniques d’atteinte de la glande thyroïde.
Anatomie
Le mouvement de chaque œil est contrôlé par six muscles.
Quatre de ces muscles, le droit inférieur, le droit supérieur, le droit externe, et le droit interne sont les plus fréquemment atteints. Ces muscles prennent origine derrière l’œil à la pointe de la cavité orbitaire, et s’attachent sur l’œil juste derrière la cornée (la portion claire recouvrant la partie colorée de l’œil). Les muscles ne sont pas visibles à la surface de l’œil puisqu’ils sont recouverts d’une fine couche de tissu (la conjonctive) sauf lorsque les vaisseaux sanguins, sur leur partie la plus en avant, deviennent proéminents. La stimulation par le système immunitaire des fibroblastes, des cellules de soutien à l’intérieur des muscles, produit un élargissement des muscles qui deviennent plus rigides.
L’élargissement des muscles pousse le globe oculaire vers l’avant. La rigidité des muscles qui relèvent les paupières supérieures, font rétracter les paupières au dessus de la partie colorée de l’œil. L’œil peut devenir rouge suite à la mauvaise fermeture des paupières ainsi qu’à cause de la proéminence des vaisseaux sanguins.
Lorsque les muscles deviennent trop larges, ils peuvent comprimer et donc endommager, le nerf optique. Comme le nerf optique est essentiel pour la transmission d’information de l’œil au cerveau, son atteinte résulte en une perte de vision. Heureusement, cette complication ne survient que chez approximativement 5% des patients avec une orbitopathie thyroïdienne, et est réversible si la pression sur le nerf optique est enlevée rapidement.
Physiologie
Nous ne savons pas exactement comment et pourquoi le système immunitaire
attaque les muscles oculaires. La conséquence de l’attaque est de causer un élargissement
de ces muscles. L’élargissement progressif des muscles peut causer: un déplacement vers l’avant du globe oculaire, une rigidité des muscles (causant une atteinte du mouvement des yeux), et une pression anormale sur le nerf optique. Le muscle droit inférieur (situé
au dessous du globe) est le plus fréquemment affecté. Lorsque ce muscle devient rigide, le globe oculaire ne peut bouger vers le haut de façon normale. Ceci résulte souvent en une vision double, avec une image située au-dessus de l’autre.
Si le nerf optique est comprimé, le patient peut développer une vision floue ou sombre.
Un flou visuel ou une distorsion de la vision peuvent aussi être le résultat d’anomalies de la surface de l’œil par sécheresse ou exposition ou ils peuvent être dus à la compression du nerf optique. Il est important de faire la distinction entre ces deux cause de trouble de la vue.
Le diagnostic d’atteinte du nerf optique se fait à partir de l’examen de la vision, des pupilles et du champ visuel ainsi qu’à partir de l’aspect des papilles optiques lors de l’examen du fond de l’oeil.
Bien que l’orbitopathie thyroïdienne est typiquement précédée par des anomalies de fonctionnement de la glande thyroïde, il arrive à l’occasion que les symptômes oculaires apparaissent en premier ou en présence d’une fonction thyroïdienne normale.
La lien entre l’œil et la glande thyroïde se fait à partir du système immunitaire. Les mêmes conditions qui poussent le système immunitaire à s’attaquer aux muscles oculaires vont l’amener à s’attaquer, d’abords, à la glande thyroïde. Au niveau de la glande thyroïde l’attaque auto-immune a comme effet de causer une surproduction d’hormones thyroïdiennes et donc un état d’hyperthyroïdie. L’hyperthyroïdie est caractérisée par des tremblements, de l’agitation, une perte de poids, une accélération du rythme cardiaque, des palpitations, de la nervosité, et une intolérance à la chaleur. Plus rarement, l’attaque immunitaire sur la glande thyroïde va entraîner une baisse de la production d’hormones thyroïdiennes. Les anticorps qui attaquent la glande thyroïde peuvent être détectés dans le sang.
Symptômes
Les patients avec une orbitopathie thyroïdienne notent souvent une vision trouble ou double. A cause du déplacement du globe oculaire vers l’avant il y a fréquemment une rougeur des conjonctives (le blanc de l’œil) ainsi que des symptômes d’irritation oculaire comme le larmoiement ou une sensation de sable dans l’œil. Bien que les patients avec une orbitopathie thyroïdienne n’éprouvent généralement pas de douleur ils peuvent se plaindre d’une sensation de pesanteur dans l’orbite. D’autres malaises comme des tiraillements, de l’irritation et une sensibilité accrue à la lumière, peuvent également être présents.
La vision double est souvent perçue comme « une image au-dessus de l’autre ». Les deux images peuvent aussi se retrouver l’une à côté de l’autre. Lorsque il y a vision double la position d’une image par rapport à l’autre peut varier avec la direction du regard. La séparation entre les deux images est souvent plus marquée dans le regard vers le haut ou vers les côtés. Parfois les patients ne sont conscients que des symptômes produits par l’hyperactivité de la glande thyroïde (nervosité, tremblements, palpitations, intolérance à la chaleur, perte de poids, diarrhée) ou par son hypoactivité (fatigue, gain de poids, constipation, épaississement de la peau). Ces symptômes peuvent précédés de plusieurs mois ou même de plusieurs années les symptômes oculaires.
Signes
L’existence d’une orbitopathie thyroïdienne peut être suspectée à partir de
l’aspect du patient. On remarque l’élévation excessive des paupières supérieures
particulièrement dans le regard vers le bas, l’aspect exorbité et la proéminence des vaisseaux sanguins de chaque côté de la pupille.. On peut aussi trouver d’autres signes tels qu’une fermeture incomplète des paupières pendant le sommeil, une résistance accrue lorsqu’on essaye de pousser les globes oculaires vers l’arrière, une réaction anormale des pupilles et une limitation de l’excursion normale des globes. La pression à l’intérieur de l’œil peut être trop élevée, particulièrement dans certaines positions du regard.
Pronostic
Comme c’est le cas pour les autres maladies auto-immunes, la phase active de
l’orbitopathie thyroïdienne commence et arrête d’elle-même. Il n y a fréquemment qu’un seul épisode d’inflammation aigue dont les effets peuvent, malheureusement, persister pendant des années ou de façon permanente. Même lorsque l’inflammation est résolue, les choses ne retournent pas à la normale. La proéminence des yeux peut diminuer mais l’anomalie des mouvements oculaires et la position anormale des paupières persistent indéfiniment. La fermeture des paupières peut aussi demeurer anormale.
Traitement
Le but du traitement est d’améliorer les symptômes de l’atteinte orbitaire. Lorsque cette atteinte est discrète consistant principalement dans une sensation d’irritation oculaire et de corps étranger dans l’œil, on peut s’en tenir à l’utilisation de larmes artificielles et de pommade lubrifiante au coucher. Si les paupières ne se ferment pas complètement, un ruban adhésif peut être utilisé pour les tenir fermées la nuit. Pour des problèmes sérieux au niveau de la cornée il peut être nécessaire de fermer les paupières ou d’élever la paupière inférieure, chirurgicalement. Dans les cas de rétraction marquée
des paupières, une chirurgie est souvent recommandée afin de diminuer l’effet de retenue du muscle rétracteur, permettant ainsi une meilleure fermeture de l’oeil . L’usage du tabac aggrave les symptômes de l’orbitopathie thyroïdienne et devrait être discontinué.
Il n’existe pas de médicament pour améliorer la fonction des muscles oculaires et traiter ainsi la double vision . De études récentes suggèrent qu’un bon contrôle de la fonction thyroïdienne pourrait réduire la double vision sans toutefois la rendre normale.
La double vision peut être facilement contrôlée en fermant un œil (peu importe lequel). Il est également possible de l’éliminer réalignant les yeux avec des prismes. Ceux-ci peuvent être soit collés aux verres correcteurs soit incorporés dans ces derniers une fois qu’il y a stabilité de la maladie Lorsque la vision double ne peut être corrigée avec des prismes on recourir à une chirurgie des muscles oculaires. Dans la majorité des cas, le chirurgien s’assure que le degré de la vision double est stable avant d’effectuer la chirurgie. Il n’est pas recommandé d’effectuer une chirurgie chez un patient avec des fluctuations dans le degré de double vision car toute amélioration ne sera que temporaire. Souvent puisque plusieurs muscles oculaires sont impliqués on ne peut pas obtenir le résultat désiré lors d’une seule opération et on doit intervenir à plusieurs reprises. Une correction parfaite de la double vision peut s’avérer impossible quelque soit le traitement utilisé. On vise alors d’éliminer la diplopie dans les positions dans lesquelles elle est le plus gênante, c’est-à-dire droit devant et dans la position de lecture.
Heureusement, il est rare que le trouble de la vue soit dû à une atteinte des nerfs optiques. Lorsqu’une telle atteinte survient elle est due à la pression des muscles oculaires sur le nerf. Le but du traitement dans cette situation est de réduire la grosseur des muscles à l’aide de stéroïdes (prednisone). Pour les patients qui ne tolèrent pas un tel traitement, une irradiation des muscles peut être bénéfique. Lorsque la dimension des muscles ne peut pas être réduite suffisamment pour réduire la compression du nerf et améliorer la vision on doit agrandir la cavité orbitaire chirurgicalement. Ceci est réalisé en enlevant une ou plusieurs des parois osseuses de l’orbite. Puisque le nerf optique est typiquement comprimé dans la partie arrière de l’orbite, c’est l’arrière de l’orbite du côté du nez qui doit être réséquée. Ceci peut être réalisé de façon directe (à travers les tissus mous ou la peau qui entourent l’œil), à travers le sinus situé sous l’œil, ou par le nez.
Afin de diminuer la proéminence de l’œil, il faut à l’occasion enlever le plancher, la paroi externe, et même le toit de l’orbite. Un des problèmes rencontrés suite à la décompression chirurgicale de l’orbite est une atteinte de la motilité oculaire, soit en changeant les caractéristiques d’une vision double existante soit en induisant une vision double chez quelqu’un qui n’en avait pas.
Questions fréquemment demandées
Les médecins me disent qu’ils ont traité adéquatement ma glande thyroïde et qu’elle fonctionne normalement. Pourquoi ai-je quand même des problèmes avec mes yeux ?
Dans la maladie de Graves, à cause de la stimulation par le système immunitaire, la glande thyroïde secrète trop d’hormones. L’excès d’hormones est responsable de divers symptômes tels la nervosité, les palpitations, la perte de poids, la diarrhée, les
tremblements, et l’intolérance à la chaleur. Le traitement a comme but de limiter la production d’hormones par la glande. Parmi les diverses modalités de traitement il y a les médicaments, la chirurgie de la glande thyroïde, et l’administration d’iode radioactif.
Suite à ces traitements, auxquels il faut parfois ajouter de l’hormone thyroïdienne, il y a un retour à la normale de la fonction de la glande. Cependant, aucun de ces traitements n’affecte le processus auto-immun qui est la cause de la maladie. Le système immunitaire peut ainsi continuer à attaquer d’autres tissus que la glande thyroïde et en particulier les muscles oculaires. Les atteintes au niveau de l’œil doivent donc être traitées séparément (selon les modalités détaillées ci haut)du traitement. Les symptômes orbitaires peuvent s’aggraver après un traitement de la glande thyroïde par du iode radioactif.
Les stéroïdes rendent mes yeux plus confortables. Puis-je continuer à les prendre?
Le traitement avec des stéroïdes peut réduire la durée de la phase inflammatoire associée à l’orbitopathie thyroïdienne et diminuer l’élargissement des muscles, cependant l’usage prolongé des stéroïdes s’accompagne fréquemment d’effets secondaires potentiellement sérieux. Chez un patient avec une atteinte persistante des mouvements oculaires, des problèmes d’exposition oculaire (de l’irritation oculaire et une sensation de corps étrangers), ou une perte de vision, il y a lieu d’envisager un traitement chirurgical.
Pourquoi ne peut-on pas corriger maintenant mon trouble de paupières avec de la chirurgie ?
La chirurgie au niveau des muscles responsables des mouvements verticaux de l’œil peut affecter la position des paupières. Il est donc préférable d’attendre qu’on ait fait la chirurgie des muscles de l’œil avant d’aborder les paupières.
Ne peut-on pas tout simplement replacer mes yeux dans l’orbite?
Nous pouvons réduire la proéminence de vos yeux en effectuant une décompression orbitaire chirurgicale. Si vous avez déjà des muscles rigides, la décompression orbitaire pourrait produire une vision double. La vision double peut se traiter par de la chirurgie des muscles de l’œil. Cependant, si vous n’avez pas présentement de la vision double il est possible d’améliorer l’apparence de vos yeux avec une chirurgie confinée aux paupières, éliminant ainsi le risque de vision double.
Pourquoi est-il nécessaire d’opérer également sur mon bon œil ?
La chirurgie au niveau des muscles de l’œil peut améliorer la fonction d’un muscle rendu rigide par la maladie. Cependant, secondairement à son élargissement et la présence de fibrose, un tel muscle est souvent incapable de bouger l’œil de façon normale,. Si nous opérons seulement sur l’œil le plus atteint, celui-ci aura des mouvements limités et vous demeurerez ainsi avec une vision double dès que vous regarderez ailleurs que droit devant. En limitant les mouvements oculaires de l’autre œil, nous pouvons maximiser la zone de vision simple.
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